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Antigone | |
Auteur | Jean Anouilh |
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Pays | France |
Genre | Théâtre |
Éditeur | Éditions de la Table ronde |
Collection | La Petite Vermillon |
Lieu de parution | Paris |
Date de parution | 1946 |
Nombre de pages | 128[1] |
Date de création | |
Metteur en scène | André Barsacq |
Lieu de création | Théâtre de l'Atelier |
Antigone est une pièce en un acte de Jean Anouilh représentée pour la première fois au théâtre de l'Atelier à Paris le , durant l'Occupation allemande, dans une mise en scène, des décors et des costumes d'André Barsacq. Réécriture de la pièce éponyme de Sophocle, elle fait partie de la série des Nouvelles Pièces noires, avec Jézabel (1932), Roméo et Jeannette (1946) et Médée (1953).
La pièce est inspirée du mythe antique d'Antigone, la fille d'Œdipe, mais est écrite en rupture avec les codes de la tragédie grecque :
« L'Antigone de Sophocle, lue et relue, et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges[N 1]. Je l'ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre. »
— Jean Anouilh[2].
Antigone est la fille d'Œdipe et de Jocaste (mère et épouse d'Œdipe), souverains de Thèbes. Après le suicide de Jocaste et l'exil d'Œdipe, les deux frères d'Antigone, Étéocle et Polynice, se sont entre-tués pour le trône de Thèbes. Créon, frère de Jocaste, est — à ce titre — le nouveau roi et a décidé de n'offrir de sépulture qu'à Étéocle et non à Polynice, qualifié de voyou et de traître. Il avertit par un édit que quiconque osera enterrer le corps du renégat sera puni de mort. Personne n'ose braver l'interdit et le cadavre de Polynice est abandonné au soleil et aux charognards.
Seule Antigone refuse cette situation. Malgré l'interdiction de son oncle Créon, elle se rend plusieurs fois auprès du corps de son frère et tente de le recouvrir avec de la terre. Ismène, sa sœur, ne veut pas l'accompagner car elle a peur de Créon et de la mort.
Antigone est prise sur le fait par les gardes du roi. Créon est obligé d'appliquer la sentence de mort à Antigone. Après un long débat avec son oncle sur le but de l'existence, celle-ci est condamnée à être enterrée vivante. Mais au moment où le tombeau va être scellé, Créon apprend que son fils, Hémon, fiancé d'Antigone, s'est laissé enfermer auprès de celle qu'il aime. Lorsque l'on rouvre le tombeau, Antigone s'est pendue avec sa ceinture et Hémon, crachant au visage de son père, s'ouvre le ventre avec son épée. Désespérée par la disparition du fils qu'elle adorait, Eurydice, la femme de Créon, se tranche la gorge.
Jean Anouilh a écrit la pièce entre 1941 et 1942, selon ses propres mots « à la lueur des premiers attentats terroristes[N 2], mais surtout comme une variation, à partir du chef-d’œuvre de Sophocle, sur le pouvoir et la révolte[3]. » Un de ces événements marquants est l'assassinat raté de Pierre Laval et Marcel Déat par le résistant Paul Collette le . Cet acte d'engagement perçu comme voué à l'échec semble avoir été un élément majeur dans le développement du personnage-titre[4],[3],[5].
Comme il l'explique dans la préface de la première édition, Anouilh, qui admirait la pièce de Sophocle depuis son adolescence[6], trouve pendant la guerre que ses thèmes – l'individu qui se dresse contre des forces qui le dépassent – prennent un autre éclairage. Contrairement à l’auteur classique qui mettait en scène la lutte des hommes contre les dieux et le destin, Anouilh humanise le vain combat de ses personnages, les forces en présence étant tout ce qu'il y a de plus humaines : l'hypocrisie, l'égoïsme et l'orgueil[3],[7].
Après la validation de l'administration allemande sur la censure[3], la pièce est pour la première fois mise en scène le au Théâtre de l’Atelier par André Barsacq. Ami de l'auteur, il a mis en scène plusieurs de ses pièces, comme Le Bal des voleurs (1938), Le Rendez-vous de Senlis (1941) ou Eurydice (1941). Barsacq est aussi le créateur des décors et des costumes, volontairement modernes[8] : le roi Créon a abandonné la toge pour un frac ; Antigone et Ismène portent des robes épurées, respectivement noires et blanches ; les gardes portent de longs cirés noirs (semblables à ceux que portaient les miliciens ou les membres de la Gestapo)[7],[3].
L’accueil est plutôt favorable[7], certains voyant en Antigone l’allégorie de la nécessaire rébellion contre l'ordre injuste[9],[6]. Simone Fraisse écrit que « l'esprit de la Résistance s'est reconnu en elle[10]. »
Antigone rencontre un grand succès public[6], surtout compte tenu des conditions difficiles dans lesquelles avaient lieu les représentations (théâtre non-chauffé, coupures de courant, etc.)[11]. Anouilh se rappelle que « la salle était pleine tous les soirs, il y avait beaucoup d’officiers et de soldats allemands. Que pensaient-ils ? Plus perspicace, un écrivain allemand, Friedrich Sieburg, l’auteur de Dieu est-il Français ?, alerta, m’a-t-on dit, Berlin, disant qu’on jouait à Paris une pièce qui pouvait avoir un effet démoralisant sur les militaires qui s’y pressaient. Barsacq fut aussitôt convoqué à la Propagandastaffel où on lui fit une scène très violente, l’accusant de jouer une pièce sans avoir demandé l’autorisation. C’était grave. Barsacq fit l’imbécile innocent, la pièce avait été autorisée en 1941 – il montra son manuscrit tamponné et on retrouva le second exemplaire dans le bureau voisin. Les autorités allemandes ne pouvaient pas se déjuger sans perdre la face. On lui suggéra cependant d’arrêter la pièce[11],[N 3]. »
La presse généraliste exprime son enthousiasme quant à la réécriture d'un classique tel qu'Antigone. Dans L'Illustration, Olivier Queant estime que « depuis Racine, l’on avait rien écrit d’aussi beau, d’aussi grand et d’aussi profondément humain[12] », tandis que Jean Sauvenay ajoute dans Hier et demain qu'« on n'a jamais si bien trahi Sophocle, délibérément du reste. […] Giraudoux et Cocteau ont rajeuni, renouvelé des thèmes éternels. Anouilh, tout en suivant de très près le théâtre antique, l'a complètement transformé ; il lui a insufflé un autre esprit[13]. » Seul Roland Purnal affirme qu'il n'a « jamais assisté a un spectacle aussi pénible, aussi cruellement ridicule et vide de sens[6] » (Comœdia, )[7]. D'un point de vue technique, les décors et les costumes modernes, ainsi que les performances des comédiens sont largement salués[6].
Antigone partage l'opinion quant à sa portée symbolique, chacun semblant voir dans sa morale quelque chose de différent. Alors que les uns estiment qu'elle encouragerait la collaboration par l’humanisation du personnage de Créon, les autres perçoivent dans la mort d'Antigone le refus du compromis avec l'ennemi[4]. Des journaux d'extrême-droite, comme Je suis partout, saluent la pièce pour sa fin (l’écrasement de la révolte et le rétablissement de l'ordre) : « Antigone petite déesse de l'anarchie, en se dressant contre la loi de Créon, ne sera plus seulement le droit naturel en révolte contre le droit social, mais aussi la révolte de la pureté contre les mensonges des hommes, de l'âme contre la vie, une révolte insensée et magnifique, mais terriblement dangereuse pour l'espèce, puisque dans la vie des sociétés elle aboutit au désordre et au chaos, et dans la vie des êtres, elle aboutit au suicide » (Alain Laubreaux, )[14]. D'autres, comme le journal résistant Les Lettres françaises, estiment quant à eux que la pièce favorise la connivence avec les Allemands, par le pessimisme qui s'en dégage :
« Entre Créon et Antigone s'établit un accord parfait, une trouble connivence. [Parce qu'elle méprise les hommes], Antigone court au suicide. Parce qu'il les méprise, Créon les opprime et les mate. Le tyran glacé et la jeune fille exaltée étaient faits pour s'entendre… L'accent désespéré de l'Antigone de Jean Anouilh risque de séduire certains dans ce temps où il s'élève, au temps du mépris et du désespoir. Mais il y a dans le désespoir et dans le refus, et dans l'anarchisme sentimental, et total d'un Anouilh et de ses frères d'armes et d'esprit, le germe de périls infiniment graves… A force de se complaire dans le “désespoir” et le sentiment de tout, de l'inanité et de l'absurdité du monde, on en vient à accepter, souhaiter, acclamer la première poigne venue. »
— Claude Roy, mars 1944[14]
Interrompues au mois d’août pendant la Libération de Paris, les représentations reprennent fin septembre. Et, à travers le prisme de la France libérée, certaines voix reprochent à Anouilh une complaisance envers l'occupant[3], symbolisée selon ses détracteurs par le personnage de Créon, certains d'entre-eux reconnaissent en lui le maréchal Pétain. En effet, Créon n'est plus le tyran de Sophocle, mais un roi pragmatique, écrasé par le devoir qu'il a envers son peuple et tiraillé par l'amour qu'il a pour sa nièce. Pour André Breton, Antigone « est une pièce ignoble, œuvre d'un Waffen-SS »[15] (Les Lettres françaises, 1944)[7].
Plusieurs personnalités viennent à la rescousse d'Anouilh et de son Antigone. Le général Koenig, maréchal de France et compagnon de la Libération, s'exclame « c’est admirable ! » à la fin d'une représentation, et Pierre Bénard écrit en septembre 1944 dans Le Front national (journal à tendance communiste) : « Certains de mes amis avaient dénoncé […] une inspiration qu’ils estimaient hitlérienne. Pour ma part j’y avais trouvé un accent antifasciste. Je ne peux pas me résoudre à voir dans Antigone une œuvre vouée à la dictature[7],[6]. »
Dans le roman Le Quatrième Mur de Sorj Chalandon, prix Goncourt des lycéens 2013, l'histoire s'articule autour de cette pièce et du projet de la monter à Beyrouth, dans les années 1980, durant la guerre du Liban[16].